vendredi, février 27, 2009

Hair 140

{Petite note vite écrite pour cause – toujours… – de bouclage d’Écrivains en séries… Allié à une panne de réveil, ça me faire encore un joli week end !…}

Visitez l’expo Hair 140 à la Galerie L140, 36 rue Durantin à Paris, XVIIIe. Outre les œuvres présentées, vous pourrez y consulter – et peut-être même acheter, soyons fous ! – l’édition limitée de 100 exemplaires publiée à cette occasion. Une fort jolie boîte kraft renfermant des textes et images de :

Emmanuel Abela, Emmanuelle Bayamack-Tam, Philippe Blondez, Daniele Bonfanti, Kandido Burenson, Giovanni Cittadini Cesi, Moustache club, Caroline Cornu, Rozi Cosmos, Marc Dachy, Alexandra David, Anji Dinh-Van, Emma Dusong, Mélissa Epaminondi, Kikifruit, Adeline Grais-Cernea, Isa Griese, Michel Griscelli, Géraldine Husson, Clara Lindsten, Bertrand le Pluard, Laure Limongi, Marianne Maric, Lucie Lux, Arno Nollen, Jérémy Perrodeau, Marc-Antoine Plumyoen, Nicolas Querci, Aurélie Romanacce, Philippe Schweyer, Emilie Voirin.


Allez, un ptit extrait de mon texte pour Hair 140, « La relique » :

Je passe ma main dans les 135 000 cheveux qui composent ma chevelure et presque autant d’éléments Internet et autres références bibliographiques.

Ma raie se dessine automatiquement, à gauche, sur cheveux secs ou mouillés, longs ou courts, raides ou artificiellement bouclés – avec un épi rebelle quand on tente de la contrarier. La raie – sa nature, le lit qu’elle s’est choisi – est plus forte que l’artifice. Mais elle est loin de montrer le chemin du côté de la cascade de possibles quant à la manière d’attacher ou de tresser le sujet.

La chevelure est un océan.
Ma raie subsistera après ma mort, tant qu’il y aura des cheveux en souvenirs.

Je passe ma main dans les 135 000 cheveux qui composent ma chevelure et presque autant d’éléments Internet et autres références bibliographiques. Elle exhale la fleur de jasmin avec une nuance d’acide angoisse : « Comme un qui s’est perdu dans la forêt profonde. Loin de chemin, d’orée et d’adresse, et de gens : Comme un qui en la mer grosse d’horribles vents, Se voit presque engloutir des grands vagues de l’onde. »

Je m’en veux de ne pas penser « toison moutonnant jusque sur l’encolure » mais tas en Canada et coercition : le diktat des codes.

Trois images s’imposent, au détour, en obsession :

(...)

Le sentiment,
le scalp
a les traits d’Alice
qui
grandit ou rapetisse,
à la poursuite du lapin blanc.
Elle doute de ce qu’elle fuit – la logique, la réalité –
et doute même d’elle-même.
Elle ne se retrouve Alice que par soustraction :
« Je suis sûre de ne pas être Ada, se dit-elle, car elle a de longs cheveux bouclés,
alors que les miens ne bouclent pas du tout. »
Ses cheveux raides sont Alice.

Le rêve était beau et étrange,
ses nattes sont toujours aussi serrées
– ou bien ses cheveux étaient-ils retenus en arrière –
– ou bien simplement lâchés comme pour une promenade en barque –
pourtant elle a couru
même si c’était en rêve.

Alice est aimée.
Alice est aimante comme un chien.
Dylan aime Alice
et il le montre
fugacement
sur l’hémisphère gauche de son crâne.

Cela repoussera en cycle immuable :
1 cm par mois,
plus de 13 km par an
pour l’ensemble de la chevelure.
Beaucoup de possibilités
de déclarations,
beaucoup
d’Alice
futures.

mercredi, février 25, 2009

Rions un peu

Quelques heures plus tôt, dans un bureau de tabac d’un arrondissement du nord de Paris.

La porte automatique se déclenche, comme elle se doit de le faire, à mon passage. Un homme, devant le présentoir de jeux à gratter, gouaille en coq à destination de la vendeuse – mère (d’une soixantaine d’années), derrière la caisse et de sa fille, la quarantaine – rangeant des cartons un peu plus loin.

L’homme :
— … et puis un paquet de Pall Mall bleu… allez, non, deux ! Ça va être Noël pour manman.

La vendeuse-mère glousse :
— Hi ! Hi ! Hi ! Noël, comme vous y allez !

La vendeuse-fille glousse :
— Ah ben quel fils aimant !

L’homme :
— Ben ouais, comme ça elle crèvera plus vite !

Chœur de gloussements de vendeuses.

La vendeuse-mère :
— Oh ben vous alors ! Hi ! Hi ! Hi !

L’homme :
— Ben ouais, quoi, les mères, à un moment, on a envie que ça meurt !
Se tournant vers la vendeuse-fille :
— Pas vrai ?

La vendeuse-mère (la masse mammaire tressautant sous l’effet de l’hilarité) :
— Oooooooh ! Oh ! Oh ! Oh !

La vendeuse-fille :
— Hi ! Hi ! Hi !

L’homme, se tournant vers moi :
— Pas vrai ?

— Dans la mesure où la mienne, fumeuse de Philipp Morris, est morte le 25 février 1996, j’aurais bien du mal à vous répondre.

Je ne suis pas peu fière du froid polaire qu’a jeté cette réplique (tout sauf inventée, en plus ; ce n'était pas un effet de manche). Les mouches volaient dans les bouches bayantes. Le gros vulgos a perdu 20 cm de tassement vertébral. Et j’ai pu repartir avec mes deux paquets de Muratti dans un silence absolu.

Question de fab, épisode 8

… Et parfois, en cherchant « ouate » (pour en vérifier tous les sens figurés), on tombe sur « ouaouaron » : [wawaYT] n. m ; 1632; mot iroquois « grenouille verte » : Au Canada, Grenouille géante d'Amérique du Nord pouvant atteindre 20 cm de long, et dont le coassement ressemble à un meuglement, appelée aussi grenouille mugissante, grenouille-taureau.
« Les ouaouarons priaient dans les mares qui se desséchaient » (V.-L. Beaulieu).

(Le Robert)

Vivement le Canada !

lundi, février 23, 2009

La course finale

Silence radio pour cause d’Écrivains en séries

71 auteurs, 114 textes, 1 directeur de projet nommé Emmanuel Rabu, 1 superbe image couleur de Danny Steve, 2 stagiaires, 1 imprimeur, 1 esclave-éditeur (= 240 litres de thé vert, 50 de thé bleu, 4 de champagne, 12 de café, 50 de Coca light, 20 grammes de matcha, 20 cartouches de Muratti, 5 boîtes de Xanax, 2 de Vérapamil, 5 tubes de Guronzan, 2 paquets de Canistrelli, 1 abonnement chez Picard, 674 emails échangés, 5 documents XPRESS, 12 images Tiff niveaux de gris 300 DPI, 130 PDF…) ont été nécessaires à sa réalisation.

mercredi, février 18, 2009

Agenda

La lecture/concert (conture ?) du Travail de rivière avec Olivier Mellano au CREDAC à Ivry-sur-Seine, ce sera mercredi 18 mars à 19h30 et pas jeudi 19 mars - pour cause de préavis de grève générale.
Nathalie Talec fera également une performance ce soir-là.
Et Fanette Mellier présentera son projet de livres bizarres.

Mercredi oblige, n'hésitez pas à amener les bambins, des vocations de guitariste, d'écrivain mélancolicosuractif, de graphiste révolutionnaire ou d'artiste multi-supports peuvent se décider ce soir-là !

mardi, février 17, 2009

Fora è dentru

… Je faisais un clin d’œil au nom de cette revue dans un précédent billet : la revue Fora ! la Corse vers le monde, 2 numéros par an.

Une bien belle initiative, lisez plutôt :

« La revue Fora ! est une revue transculturelle.

À chaque numéro, elle met en face de la culture corse une autre culture du monde, avec laquelle elle partage des traits communs : qu’il s’agisse de l’insularité, de la latinité, de l’appartenance à la Méditerranée ou du pastoralisme, c’est le même universalisme anthropologique qui est en jeu.

Sans abdiquer leur affection, beaucoup de Corses vivent ailleurs que sur l’île, tandis que sur place une nouvelle corsitude s’élabore autour de nouveaux citoyens dotés d’une culture différente. La complexité de cette identité et la certitude que la découverte de l’autre enrichit toujours sont les piliers de notre réflexion. »

Voilà la belle ambition de Fora ! qui se décline déjà autour de trois pays : « la Corse au miroir du Japon », « Corse et Maghreb, côte à côte », « Corse et Mexique : à latins, latins et demi », « Corses et Juifs : peuples et diasporas ? » L’été prochain est prévu un numéro : Corse/États-Unis.

Je précise que, outre le plaisir de lire de bons textes de toutes disciplines (philosophie, sociologie, histoire, ethnographie, littérature, art…), le projet Fora ! me semble d’utilité publique, aussi bien pour insulaires que diasporiques, étrangers et continentaux…

Son nom a tout de suite fait tilt en moi. Je trouvais très intelligent et osé de reprendre ce que ma génération, du temps de son enfance et de son adolescence, avait vu tagué sur les murs, souvent avec effroi : « I Francesi Fora ! », par exemple. Ce qu’on trouvait d’autant plus ridicule… ben, qu’on était, de fait, français... et puis que souvent on était des « demi-corses », ou corse mais pas « corse », ou qu’on avait un super pote qui s’appelait Mohamed Bensalah mais qui parlait mieux corse que nous…

Et puis, je tombe sur cet édito de la revue, qui résume tout et trace bien le chemin parcouru et la voie qui se dessine :

« Encré sur les murets, ce cri muet a souvent invité à chasser. C’est dehors, fora !, qu’il fallait les jeter, la drogue, l’Arabe, les Français – c’était selon, l’afflux, les cargaisons…
Tout cela aliénait, nous mettait hors de nous, fâchait, il fallait donc s’en dépêtrer, pour mieux se retrouver. L’entre-soi l’exigeait, même bêtement, dans le feu, la larme, le sang. Mais trois fois ohi- mé (hélas), c’était bien s’égarer... Dans cet exclusivisme, la Corse a trop donné.

Au nom du même espoir sincère, nous sommes sûrs au contraire que c’est ailleurs que la culture corse doit regarder, pour mieux voir qui elle est, comparer, admirer, échanger, partager, au besoin même un peu copier ou disons s’inspirer !

C’est donc nous-mêmes qu’aujourd’hui nous voulons envoyer promener. Dehors, ouste, le Corse, du balai ! Va voir ailleurs si tu y es ! Allons toucher, sentir, voir, goûter… et piger… car gare, qu’on ne s’y trompe pas, ce n’est pas de tourisme dont il s agira là. L’enjeu n’est pas de seulement balader, mais de cerner au mieux notre propre identité.

D’aucuns objecteront qu’il y a beau temps que les Corses arpentent le monde, et apprennent à le rencontrer ; mais jusqu’alors ils y étaient souvent forcés, contraints par la nécessité - exode rural : on embarquait, Marseille, Toulon, Paris, évidemment les colonies, pour travailler, longtemps, presque une vie. Aujourd’hui, c’est heureux, la barbara fortuna a cessé d’attrister, et le départ n’est plus l’exil. On peut travailler en Corse, qu’on y soit né ou plus tard arrivé - et un premier rapport à l’autre déjà s’établit dans cette communauté. L’ailleurs ainsi peut mieux s’élire, au gré d’affinités.

Notre terre a des doubles qu’on ne doit plus négliger. Nos âmes elles-mêmes souvent sont troubles et métissées. Il y a chez les autres quelque chose de chez nous, le même sens de la vie que l’île a engendré, le même berger, le même pain.
Il y a aussi en notre sein une part d’autre, qu’aucun mépris ne doit blesser ; les corsitudes hybrides sont de toute beauté. Apprenons donc à faire valser leur grande complexité : Corse-Français, Corse-Sarde, Corse-Algérien ou Japonais, dis-nous mieux qui tu es !

La revue Fora ! désire servir cette Corse polyphonique qui sache partout s’identifier et mieux répandre son écho. C’est là, nous le croyons, l’enjeu de notre génération.
Le Riacquistu nous a permis hier de constituer un patrimoine et d’éveiller notre conscience identitaire ; aujourd’hui certes ce combat ne cesse pas, pour apaisé qu’il soit mais une nouvelle tâche incombe désormais : rendre dynamique cette culture et l’inscrire dans le jeu d’une mondialisation choisie, culturelle plus que touristique.
Au nom de libertà, nos aînés exigeaient le droit de lutter pour notre culture, nous, héritiers de cet élan, nous nous proposons d’explorer les possibles de notre identité, ici, ailleurs, fora ! »

lundi, février 16, 2009

Question de fab, épisode 7

Prolexis en est à 18 488 erreurs trouvées dans Écrivains en séries - déjà multiplement corrigé, bien sûr, mais ça compte les erreurs typo - ; la nuit va être longue !...

dimanche, février 15, 2009

O que é poesia para você?

Euh...



























Tentatives de réponse sur le blog :

...

La ville s'endormait



La ville s’endormait
Et j’en oublie le nom
Sur le fleuve en amont
Un coin de ciel brûlait
La ville s’endormait
Et j’en oublie le nom

Et la nuit peu à peu
Et le temps arrêté
Et mon cheval boueux
Et mon corps fatigué
Et la nuit bleu à bleu
Et l’eau d’une fontaine
Et quelques cris de haine
Versés par quelques vieux
Sur de plus vieilles qu’eux
Dont le corps s’ensommeille

La ville s’endormait
Et j’en oublie le nom
Sur le fleuve en amont
Un coin de ciel brûlait
La ville s’endormait
Et j’en oublie le nom

Et mon cheval qui boit
Et moi qui le regarde
Et ma soif qui prend garde
Qu’elle ne se voie pas
Et la fontaine chante
Et la fatigue plante
Son couteau dans mes reins
Et je fais celui-là
Qui est son souverain
On m’attend quelque part
Comme on attend le roi
Mais on ne m’attend point
Je sais depuis déjà
Que l’on meurt de hasard
En allongeant le pas

La ville s’endormait
Et j’en oublie le nom
Sur le fleuve en amont
Un coin de ciel brûlait
La ville s’endormait
Et j’en oublie le nom

Il est vrai que parfois
Près du soir les oiseaux
Ressemblent à des vagues
Et les vagues aux oiseaux
Et les hommes aux rires
Et les rires aux sanglots
Il est vrai que souvent
La mer se désenchante
Je veux dire en cela
Qu’elle chante d’autres chants
Que ceux que la mer chante
Dans les livres d’enfants

...


Jacques Brel, Les Marquises

vendredi, février 13, 2009

Question de fab, épisode 6

Mesures typographiques


Les imprimeries privées, en France, utilisaient, en fonte chaude, le point typographique créé par F.-A. Didot en 1775.

Le point didot mesure 0,375 9 mm, soit environ 3/8 de millimètre.

Son multiple, le cicéro (ou douze), vaut 12 points.

Un mètre contient 2 660 points didot (1 mm = 2,66 points).

Après les travaux décidés par l’Assemblée constituante en 1790 concernant la détermination de la longueur du mètre et l’élaboration du système métrique, Didot voulut modifier son « point » et créa le point métrique qui fut adopté par l’Imprimerie nationale.

Le point métrique représente exactement 0,4 mm.

Un mètre contient 2 500 points métriques (1 mm = 2,5 points).

Cette mesure ne put s’étendre à toute l’imprimerie car son adoption eût entraîné un changement complet de matériel utilisé par l’industrie privée, ce qui était impensable à l’époque. L’Imprimerie nationale, qui possédait sa propre fonderie, put effectuer l’opération.

À la suite d’un fâcheux concours de circonstances qui se produisit au début du siècle dernier, le « point IN » (dit métrique) se trouva dans la pratique ramené à 0,398 77 mm...


Un peu d’histoire avec le Lexique des règles typographiques en usage à l’Imprimerie nationale, édition 2002.

mercredi, février 11, 2009

Dentru è fora

Depuis quelques temps, c’est l’île qui vient à moi – tout en trônant dans son bassin. C’est très apaisant. Porteur d’euphorie. J’en suis partie il y a quinze ans, injustement – car j’étais rejeton et non agent – honteuse (scugnosa) d’y avoir beaucoup perdu. Enragée de colère. Abandonnées les cendres de ma mère, abandonnée la maison de mon enfance, abandonné le paysage qui m’émeut et que je porte en moi à chaque détour. Finalement sans pierre mais possédant ardemment chaque grain de sable de toutes les plages. Je pourrais presque les compter. Le ressac est utile et peu à peu, on apprend à sourire au passé. À se réconcilier avec des images douloureuses. À se dire que les images ne sont que des images. Qu’elles se rangent dans des albums. Et que la terre n’est pas une image.

Et puis, surtout, les gens, sur cette terre. C’est là qu’est mon cœur. Et je suis fière de tout comme une enfant de son univers. (Vous m’entendrez conter bien des histoires et mon regard brillera, même aux plus cruelles.) Outre cette mythologie chérie – léonine d’être tant bercée – je suis, objectivement, fière des insulaires que je rencontre ou revois – vivant sur leur étendue de terre entourée d’eau de tous côtés ou en diaspora –, de ceux que je ne connais pas et qui portent tant de passion. Qui croisent, échangent, métissent, traduisent, importent, exportent, révèlent, pensent, écrivent, chantent, délivrent. On ne me fera pas croire que c’est un lieu comme un autre. Car c’est le mien. Sénèque y a été exilé. Il y a des menhirs qui sourient. Et des fougères qu’on ne déracine pas.

lundi, février 09, 2009

Macédoine au marqueur

C’est un peu comme le souvenir de dessins animés d’enfance (plusieurs, mélangés anarchiquement) en plein rêve éthylique érotique ou sous acide. Pipi, caca, sperme, cyprine, sang et chocolat. Drawn Together réunit huit archétypes de héros dessinés sous le prétexte d’une émission de téléréalité de type Loft Story – vous vous souvenez ? Loana et Jean-Édouard dans la piscine ! – même pas si caricaturale que ça, finalement. Et c’est là où ça fait mal à la réalité dans laquelle nous nous mouvons et survivons. Plus le trait est forcé, plus il semble vrai. La vulgarité des dialogues, l’obsession sexuelle permanente, la perversion, la cruauté, la manipulation, la jalousie, la domination, tous ces éléments pourtant outrés de toute la force de couleurs RVB et d’effets Flash ne sont jamais aussi aigus, blessants ou révoltants que dans n’importe quelle autre émission de téléréalité mettant en scène de vraies personnes de chair et de sang. Drawn Together agit comme un révélateur critique du monde, du spectacle et du rapport à la représentation. Et un révélateur critique irrésistible, en plus.
Mais passons au casting avant d’évoquer la série plus en détail :

Captain Hero est une espèce de Superman stupide, obsédé par le sexe, à l’appétit d’ailleurs assez voile, vapeur, réacteur, rail… Il est à la fois terriblement viril et aussi nerveusement instable qu’une jeune fille pubère qui connaîtrait chagrin d’amour sur chagrin d’amour. Princesse Clara est un parangon de princesse Disney. Les animaux de la forêt arrivent quand elle chante (ils se font d’ailleurs massacrer dans l’un des épisodes) et elle ne quitte jamais sa robe pastel. C’est la première fois qu’elle sort de son château et affronte le monde extérieur. C’est pourquoi elle pense que tous les Noirs sont des serviteurs et qu’il faut suivre les préceptes du Christ à la lettre. Bref, elle est xénophobe, homophobe, masturbophobe, mais elle se dévergonde tout de même un peu. À sa décharge, elle porte le poids d’une malédiction infligée par sa marâtre qui a posté une pieuvre géante à l’entrée de son vagin. Ling Ling est clairement inspiré de Pikachu, en version psychopathe. Il sait également fabriquer des chaussures de sport en dix secondes – la série jouant beaucoup des clichés racistes. D’ailleurs, il parle un japonais plus qu’approximatif dans lequel des termes comme « Yoko Ono » servent de verbes… Foxxy Love est l’héroïne black des séries Hanna-Barbera des années 70, totalement funky, totalement sexie. À la fois musicienne et détective, son personnage s’inspire de Valerie Brown de Josie & the Pussycats, première héroïne noire à être apparue régulièrement dans un cartoon. Elle a connu un succès d’estime avec son groupe The Foxxy 5 dans les années 80 et tente de relancer sa carrière solo grâce à l’émission. Spanky Ham est la mascotte d’un site porno créée en Flash. Il est à l’image de ce dont il fait la promotion, du sexe à l’uro scato. Il est méchant et manipulateur mais bien sûr finalement très attachant – car tellement humain. Toot Braunstein apparaît en noir et blanc car c’est une Betty Boop des années 1920. Mais ça remonte, les années 1920. Depuis, elle est donc totalement has-been. Elle pensait faire partie des sex symbols de l’émission mais n’entre pas dans les canons actuels : trop grosse ! trop typée ! Elle devient donc « The Bitch » (que nous traduiront euphémistiquement par « la garce ») et tente de semer la zizanie entre ses colocataires. Complètement bipolaire, elle entre dans des rages folles, hurle et pleure dès que l’on ne lui prête pas attention. Elle trouve son réconfort dans la boulimie, ce qui la rend, évidemment, encore plus malheureuse. Xandir est une caricature des héros de jeux vidéo du style Link, le héros de Legend of Zelda. Au début de la série, il lasse tout le monde en ne cessant de répéter que sa mission est de sauver sa petite amie des méchants… mais il fait rapidement son coming out. Sa sensibilité à fleur de peau en fait le parfait confident et l’incarnation de tous les clichés homo. Wooldoor Sockbat semble être un mélange entre Bob l’Éponge et Stimpy des Looney Tunes. Naïf et loufoque, on lui attribue pourtant les fonctions fort responsables de médecin, psychiatre, professeur, prêtre ou pilote.

Si vous ne l’avez jamais ne serait-ce qu’entraperçu, je conçois que ce mélange soit difficile à imaginer. Mais Dave Jeser et Matthew Silverstein, les créateurs de la série, ne s’encombrent d’aucune notion de vraisemblance (chacun des héros mourant successivement pour revenir l’épisode suivant sans explication), il vous suffit donc de penser à un monde anarchique où Bob l’Éponge peut côtoyer Betty Boop. Et comme je l’évoquais plus haut, métaphoriquement, ce n’est pas bien différent de ce qui est offert à nos regards et à nos sensibilités tous les jours…

Drawn Together passe Loft Story (Big Brother, aux États-Unis) aux rayons X mais aussi – plus brièvement – The Bachelor (au moment où l’on cherche un Prince Charmant – qui d’ailleurs, trouvé, se suicidera aussitôt – pour la pieuvre vaginale de la Princesse) et Survivor (les colocataires tentant de fuir leur prison à caméras en hélicoptère s’étant écrasés sur une île paradisiaque…) Dans chacune de ces arènes télévisuelles est mise en scène l’utilisation quasi sacrificielle de l’être humain, annihilant la souveraineté de son identité au profit de l’amusement (ou plutôt : « entertainment », cela devient une notion à part entière) des masses. Chaque individu est un pion manipulé par les producteurs pour leur rapporter de l’argent. En dehors de ce circuit et dans leur logique, ce pion ne vaut rien. Les personnages de Drawn Together l’expérimenteront quand, ayant quitté à la fois leur Loft et Survivor, ils se feront claquer porte sur porte au nez à Hollywood. Usant d’un procédé oxymorique certes ancien mais efficace, Drawn Together – mettant en scène des personnages enchantés et merveilleux dans un décor de fiction télé censé mimer la réalité – est une série de la lucidité et du désenchantement. De nombreux thèmes politiques et sociaux y sont abordés. Et comme dans South Park, leur traitement vulgaire, scatologique et outrancier est une bonne arme de dénonciation. On a déjà évoqué le racisme et l’homosexualité. La série parle également de l’exploitation des masses, du travail des enfants, du handicap mental, des maladies alimentaires, des troubles psychiatriques, du rapport parents/enfants, de la guerre et même, métaphoriquement, de la Shoah (Wooldoor Sockbat et toute son espèce se retrouve en pyjama rayé, mené à la mort par les Sweetcakes) et donc, de la nécessité de ne pas oublier l’Histoire. Techniquement, l’animation joue souvent des codes du genre à travers, par exemple, l’utilisation extensive de pauses inhabituellement longues dans l’action, le spectateur se retrouvant face à une image fixe pendant d’interminables secondes. La répétition, tel un hoquet emballé, agit également en instrument comique et critique. Drawn Together ose tout et, osant tout, fait œuvre de salut public. En cela, paradoxalement, c’est une série qui porte beaucoup d’espoir. Mais cela n’aura duré que trois saisons.

Article à paraître dans Écrivains en séries à paraître mi mars - ben voui, je sais, avec du retard, mais c'est pas moi qu'il faut blâmer, c'est Algie !

samedi, février 07, 2009

Le Travail de rivière #8



Lecture/concert d'extraits du Travail de rivière au Musée de Chaumont.
Texte, lecture : bibi.
Improvisation musicale : Olivier Mellano.
Captation vidéo : Maïwenn Grall.

mercredi, février 04, 2009

Le Travail de rivière #7

« Pour construire cette exposition, j’ai procédé par fouille archéologique de ma propre mémoire.

À la manière du chercheur d’or dans la rivière, j’ai opéré un travail de tamisage et de raffinage qui a distingué une galaxie d’œuvres toutes irréductibles à une lecture unique, porteuses d’une “légende”, questionnant la genèse des formes, la genèse de l’humanité. Le choix d’œuvres anciennes (1920, 1967…) et plus récentes met en avant ma fascination pour les formes fortes, simples et premières, “matériologiques”. Mais il ne s’agit pas d’un exposé des méthodes, car l’art reste avant tout un croisement de signes.

A-chronologique, cette proposition met en avant un intérêt pour les constructions humaines, les objets sourds, les œuvres reliques, un goût pour les vestiges. Ces œuvres ont une relation forte au temps et à la finitude, à l’origine et à l’éternité, nous ramenant au mystère et à l’énergie de la création des artistes. Elles disent le temps, milieu naturel de l’art, qui boucle sur lui-même, au sens où certaines formes du passé persistent, survivent au présent, demeurent et traversent les siècles vers le futur : le mythe de “l’éternel retour”.

Les œuvres exposées sont d’argile (mémoire de la forme), de graphite (le carbone offre l’élément de la plus ténue différence entre l’ordre animal, l’ordre végétal et l’ordre minéral), de silex taillé (depuis plusieurs centaines de milliers d’années), de plomb (saturne, astre fatal, maître du plomb et de la mélancolie), de poussière (poudre, particules de matière), de verre, de sable, de cristaux, de corail, d’ambre, de papier, de coquillage, d’encre. Autant de matières fondamentales et élémentaires, qui forment “la substantifique moelle” du répertoire naturel, des substances les plus brutes aux plus précieuses. C’est aussi pour le spectateur faire une expérience actuelle et sensible d’une origine perdue, qu’elle soit réelle, fantasmée ou inventée.

Le Travail de rivière revisite ses classiques en même temps qu’elle actualise des relevés naturalistes comme les empreintes, les fossiles ou les prélèvements géologiques, tout en collectant les traces ethnographiques que sont les masques, coiffes, cellules nomades. Autant de matrices formelles, artistiques, culturelles et intellectuelles. C’est une “collection de sable” au sens d’Italo Calvino : “rassembler une collection comme tenir un journal, c’est-à-dire un besoin de transformer le cours de sa propre existence en une série d’objets sauvés de la dispersion, ou en une série de lignes écrites, cristallisées en dehors du flux continu des pensées.”

Une exposition, au fond, qui avoue qu’elle peut être le fruit de l’imagination du collectionneur temporaire qu’est le curateur, et qu’à cet égard, elle peut s’inscrire dans un système de correspondances subjectives équivalent à celui de la collection. Une exposition qui se regarde à travers différentes strates, comme se révèle, au cœur de l’été, le lit d’une rivière asséchée. »

Claire Le Restif
Commissaire de l’exposition Le Travail de rivière
Au CREDAC, Ivry-sur-Seine

Œuvres montrées ci-dessus :
Hubert Duprat, Sans titre, 1994.
Giuseppe Gabellone, Vasca, 1996.
Nathalie Talec, Crampons, 2008.
{Cliquer sur les images pour les agrandir.}


dimanche, février 01, 2009

iam pridem resides animos desuetaque corda

… Je voulais recopier un extrait de la traduction de L’Eneide par Pierre Klossowski mais impossible de retrouver le livre dans ma bibliothèque, il faut que je range cette bibliothèque ou plutôt que je trouve un système de rangement deux fois plus grand (où vais-je pouvoir caser tout ça ? mystère…) me permettant d’enfin ranger cette bibliothèque… Je me délecte de la création de Fanette Mellier pour Le Travail de rivière. Graphisme, matières, mots et sens s’y rejoignent en un grand concert. Je me trouve vraiment gâtée. Gâtée aussi quand Olivier Mellano apporte une nouvelle version, (sublime), musicale, à mon cheminement couleur vert-bleu eau. Très gâtée. Je travaille pour Mélissa aujourd’hui et aussi sur Écrivains en séries. En fait, il faudrait des journées de 72 heures, on en parlait avec Olivier l’autre jour, oui, des journées de 72 heures, mais on ne le dirait, chacun, à personne, ce serait une éternité inaliénable. L’autre jour – j’avais raconté mon rêve à Emmanuel, c’est pourquoi je m’en souviens à présent à peu près (je ne me souviens presque jamais de mes rêves) –, j’ai rêvé d’une machine à remonter le temps. J’étais à la villa, à Bastia, dans ma chambre, dans mon lit, c’était une belle matinée, j’entendais comme tous les matins ma mère s’animer à l’étage inférieur selon les bruits accoutumés : porte-fenêtre de la cuisine, chat qui se fait les griffes sur le chambranle, machine à café, briquet, balai repoussant les feuilles… Je ressentais une angoisse sourde car j’étais débordée : Écrivains en séries mais aussi devoir d’histoire ou de math et partition à déchiffrer – puisque les temps oniriques se mélangent. J’entrais donc dans une pièce – qui n’existe pas ou plutôt pas vraiment : la pièce à l’œil-de-bœuf en plus grand – dans laquelle se trouvait une machine à remonter le temps de mon invention, une construction en bois circulaire, vraiment tout sauf high-tech – faisant davantage penser aux coulisses de grandes orgues qu’à un décor de Star Trek – dont le sol était recouvert de lapins blancs vivants. Plus exactement, les lapins blancs se trouvaient sous une planche, comme dans les douves de la machine – on pouvait marcher au-dessus sans les écraser. Il fallait courir dans le sens inverse des aiguilles d’une montre – sans esquicher les lapins, donc… – pour remonter le temps. Mais la machine n’était pas très précise – la veille (dans la vraie vie consciente) j’avais écrit un texte sur Drawn Together et vu l’épisode où Captain Hero vole dans le sens inverse des aiguilles d’une montre autour de la terre ; trop zélé et pressé, il se retrouve inutilement 5000 ans en arrière – et parfois, je récupérais une semaine alors que seules une journée ou deux m’étaient nécessaires. C’était donc, toutes tâches accomplies, un luxe de temps dépensé en farniente et contemplation de ce paysage que je ne me suis jamais lassée à contempler.